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La loi d’orientation sur les mobilités (LOM) rate le coche de la mobilité piétonne

Publié le 14 février 2020

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Rédacteur : Christian Machu –  Le 20 janvier 2020

Après de long mois de gestation, la loi d’orientation sur les mobilités dite LOM vient d’être promulguée. Cette loi marque un changement de paradigme. Il n’est pas anodin. Il trouve son expression par le remplaçant « symbolique » dans cette loi du terme « déplacement » figurant dans différents textes législatifs antérieurs par le terme « mobilité ».

Le terme « mobilité » est devenu au cours de la dernière décennie, un terme à la mode, Il est apparu sans doute plus moderne par sa consonance plus anglo-saxonne que le terme « transports », un peu passéiste, lui-même associé au terme synonyme de « déplacement » depuis la loi d’organisation des transports intérieurs dite LOTI instaurée en 1983. La LOTI fit date dans les politiques publiques des transports, en rendant obligatoire pour les villes de plus de 100 000 habitants, la mise en œuvre de plans de déplacements urbains dits PDU. Avant ces plans, les villes avaient mis en place des plans de circulation pour mieux organiser la circulation face à la croissance du trafic automobile. Financés à 50% par l’Etat, ces plans ont consacré la ségrégation des modes de déplacement (piétons sur les trottoirs, autobus dans les couloirs bus, cyclistes sur les pistes et bandes cyclables).

Les PDU ont davantage été des outils de planification des déplacements visant en premier lieu la diminution du trafic automobile par une articulation entre l’offre de transports collectif et l’urbanisme. Ces PDU s’appelleront désormais « plan de mobilité » (PDM) sans perdre leurs objectifs initiaux. La principale nouveauté est la possibilité de mener des PDM sur un territoire autre que les grandes agglomérations afin de mieux prendre en compte les territoires ruraux. Ces PDM seront placés sous l’égide de l’autorité organisatrice de la mobilité (AOM), qui pourra être dans ces cas une communauté de communes voire la région.

Si l’enjeu est de mieux gérer la demande de déplacements au quotidien, il convient de constater que la loi préfère adopter le terme « mobilité ». Cette évolution sémantique révèle sans doute un effet de communication pour préparer les usagers des transports que nous sommes à une évolution profonde dans la manière de se déplacer. Elle nous renvoie à l’autre sens du terme « mobilité », à savoir le caractère de ce qui change, de ce qui bouge : la LOM a pour objet d’accueillir les moyens de « locomotion » de l’ère numérique qui surgissent dans le paysage et qui sont essentiellement individuels.

Le terme « mobilité » se décline d’ailleurs de plus en plus en sous-terme comme « mobilité émergente », « mobilité du quotidien », « mobilité urbaine », « micro-mobilité », « mobilité douce » ou « mobilité active », termes emprunts d’innovations et de modernité sans trop savoir, pour les non-initiés, ce qu’ils recouvrent. La LOM a, cependant, jugé utile, de définir le terme « mobilité active » par son article 22 (article L 1271-1 du code des transports) :

« Les mobilités actives, notamment la marche à pied et le vélo, sont l’ensemble des modes de déplacement pour lesquels la force motrice humaine est nécessaire, avec ou sans assistance motorisée … ».

Cette définition, a priori, a pour but de mettre en évidence une des priorités de la LOM figurant déjà dans la loi LAURE de 1996 : développer le vélo et la marche à pied, modes propres par excellence, en cohérence avec un des quatre objectifs assignés dans son article 1premier de la LOM, à savoir celui :

«  d’accélérer la transition énergétique, la diminution des émissions de gaz à effet de serre et la lutte contre la pollution et la congestion routière, en favorisant le rééquilibrage modal au profit des déplacements opérés par les modes individuels, collectifs et de transport de marchandises les moins polluants, tels que le mode ferroviaire, le mode fluvial, les transports en commun ou les modes actifs, en intensifiant l’utilisation partagée des modes de transport individuel et en facilitant les déplacements multimodaux. »

La définition législative du terme « mobilité active» permet aussi d’encadrer un des cinq programmes d’investissement prioritaires de l’Etat, celui portant sur le développement de l’usage des mobilités les moins polluantes. A cet effet, l’annexe de la loi prévoit plusieurs appels à projets lancés et financés par l’État pour accompagner les autorités organisatrices de mobilité dans les mutations des mobilités du quotidien. Trois thématiques sont identifiées, dont l’une vise à soutenir effectivement les modes actifs en leur affectant une enveloppe de 350 M€.

Cette enveloppe est cependant uniquement destinée au Plan vélo annoncé fin 2018 par le Gouvernement. Force est donc de constater que la promotion des modes actifs se résume à celle du vélo dont l’objectif louable est de tripler sa part modale. La lecture de la loi met d’ailleurs en évidence bien d’autres mesures en faveur du développement du vélo. L’autre mobilité active, la marche à pied, ne fait l’objet d’aucun objectif alors que sa part modale diminue insidieusement. Il semble une nouvelle fois qu’aucune place majeure ne lui soit offerte dans la nouvelle orientation des mobilités. Aucune mesure spécifique d’encouragement n’est proposée. C’est seulement dans quelques alinéas d’articles, au travers d’amendements déposés par des députés motivés, que les piétons ont été ajoutés aux cyclistes dans la problématique traitée.

Ainsi, l’article 5 de la LOM introduit dans les plans dits maintenant de mobilité  « l’amélioration des mobilités quotidiennes des élèves et des personnels des établissements scolaires, en incitant ces établissements à encourager et faciliter l’usage des transports en commun et le recours au covoiturage, aux autres mobilités partagées et aux mobilités actives et l’amélioration des conditions de franchissement des passages à niveau, notamment pour les cyclistes, les piétons et les véhicules de transport scolaire ; »

Plus intéressant est un autre alinéa de l’article qui prévoit un article L. 1214-2-1 du code des transports exigeant que le plan de mobilité comprenne un volet relatif à la continuité et à la sécurisation des itinéraires cyclables et piétons.

« Ce volet définit également les principes de localisation des zones de stationnement des vélos à proximité des gares, des pôles d’échanges multimodaux et des entrées de ville situés dans le ressort territorial. Ce volet définit également les outils permettant d’accroître les informations à destination des piétons et des cyclistes, notamment la mise en place d’une signalétique favorisant les déplacements à pied»

Notons aussi l’article 22 bis qui ajoute au code de la route un article L. 313-1 ainsi rédigé : « Les véhicules de plus de 3,5 tonnes sont équipés d’une signalisation matérialisant la position des angles morts apposée sur le véhicule. Cette signalisation est apposée selon des modalités adaptées pour une visibilité la plus grande possible, en particulier pour les cyclistes, les piétons et les utilisateurs d’engins de déplacement personnels. Les modalités de mise en œuvre de cette obligation sont définies par décret en Conseil d’État. ».

Il convient aussi de noter l’article 26AB qui introduit l’article article L. 328-1 du code de la route– Toute publicité en faveur de véhicules terrestres à moteur est obligatoirement accompagnée d’un message promotionnel encourageant l’usage des mobilités actives, telles que définies à l’article L. 1271-1 du code des transports, ou partagées, ou des transports en commun. Un décret fixera les conditions d’application du présent article.

Finalement, la seule mesure spécifique en faveur des piétons concerne leur sécurité. Il s’agit d’un amendement déjà présenté lors de la loi de 2015 pour l’amélioration des mobilités actives dite PAMA mais rejeté alors par les députés. Il vise à améliorer la visibilité des piétons au droit des passages piétons, un des facteurs principaux des accidents de piéton sur ces passages. L’article 21 bis de la LOM complète ainsi le code de la voirie routière par un article L. 118-5-1 ainsi rédigé :
« Afin d’assurer la sécurité des cheminements des piétons en établissant une meilleure visibilité mutuelle entre ces derniers et les véhicules circulant sur la chaussée, aucun emplacement de stationnement ne peut être aménagé sur la chaussée cinq mètres en amont des passages piétons, sauf si cet emplacement est réservé aux cycles et cycles à pédalage assisté ou aux engins de déplacement personnel. Les dispositions du présent article sont applicables lors de la réalisation de travaux d’aménagement, de réhabilitation et de réfection des chaussées. »

L’article prévoit une mise en conformité au plus tard le 31 décembre 2026, ce qui laisse craindre des délais plus longs à l’instar de ce qui est arrivé dans l’application de la loi pour l’égalité des droits et des chances du 11 février 2005 qui avait fixé au 1er janvier 2015 le délai de mise en conformité aux règles d’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite. Finalement, ce délai a été encore repoussé par la loi du 5 août 2015 relative à la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées.

Cette mesure de sécurité parait, de surcroît, bien insuffisante pour encourager la marche à pied au quotidien. On peut donc s’interroger sur son peu de prise en compte dans cette loi alors que ce mode de mobilité est le seul à remplir tous les objectifs de la loi : la marche à pied est la plus économique, la plus sociale, la plus propre, la plus saine des mobilités. Elle est un bienfait pour la santé.

Une explication possible à cette non-prise en compte est que la marche à pied ne serait pas considérée comme un mode de déplacement à part entière par les décideurs politiques ainsi que par les techniciens en charge de la voirie. Elle serait vue essentiellement comme un aimable loisir, associé à la randonnée.

Une autre explication vient peut-être des méthodes d’observation des déplacements dont les indicateurs, souvent, ne prennent en compte qu’un mode : le mode principal, ce qui minore les déplacements les plus courts comme celui de se rendre à pied à la gare. La marche à pied est donc vue comme un déplacement de proximité sans enjeu dans la problématique des déplacements.

Une dernière explication touche à l’esprit même de la nouvelle loi. La marche à pied est, de surcroît, une mobilité gratuite, qui n’est portée par aucun secteur industriel alors que la LOM a pour ambition de promouvoir de nouvelles mobilités, individuelles pouvant être associées à un service marchand. Jusqu’alors, l’organisation des transports cherchait à répondre à un besoin de déplacement au travers les PDU. La loi vise plutôt à ouvrir de nouvelles offres de mobilité à des opérateurs. Dans cette mouvance, de nouveaux termes apparaissent en filagrane : celui de «  MaaS » pour Mobility as a Service, qui concerne l’échange des données de mobilité que la loi a jugé utile de réguler, celui de « smart city », concept futuriste des villes qui séduit déjà certaines municipalités.

La LOM facilite ainsi ces mobilités émergentes issues de l’ère numérique qui se prêtent à une exploitation en « free-floating », autre terme anglais à la mode. La loi fait en particulier une place de choix aux engins de déplacement personnel motorisés (EDPM). Pourtant, ces engins font déjà concurrence aux vélos et à la marche à pied alors qu’ils ne sont nullement un mode de déplacement propre, actif et doux. La LOM cède, d’une certaine façon, à la pression de ce secteur marchand qui n’hésite pas à revendiquer, dans leur communication, le terme de mobilité active, notamment en parlant de « piéton 2.0 dont on accélère la marche» ou utilisant le terme de « marche augmentée ».

Cette communication prouve au demeurant que ces engins sont bien plus rapides que l’allure du pas, confirmant qu’ils n’ont rien à faire sur les trottoirs et dans les aires piétonnes. Ces engins ont pourtant envahi sans vergogne les trottoirs. Le décret n° 2019-1082 du 23 octobre 2019 tente d’y mettre le holà en interdisant leur circulation sur les trottoirs mais en permettant à ces engins de circuler sur les aménagements cyclables lorsqu’ils existent. A terme, ces engins risquent aussi d’envahir avec la même « vélocité » pistes et bandes cyclables.

Face au peu de moyens pour discipliner les utilisateurs de EPDM au profil de gens trop pressés, le respect de ce décret peut s’avérer difficile d’autant que, complaisante, la LOM introduit une dérogation permettant aux maires d’autoriser quand même la circulation de ces engins sur les trottoirs (article 21 complétant l’article L. 2213-1-1 du code général des collectivités territoriales:

« Le maire peut également, par arrêté motivé, fixer des règles dérogatoires à celles prévues par le code de la route pour la circulation des engins de déplacement personnel sur tout ou partie des voies sur lesquelles il exerce son pouvoir de police ainsi que sur leurs dépendances, dans des conditions fixées par décret. »

L’objectif final de la loi étant la décarbonation complète du secteur des transports terrestres d’ici 2050 (article 26AA de la loi), ces EDPM, parce qu’ils sont électriques, et ce malgré un cycle de vie répondant apparemment mal aux enjeux écologiques, symboliseraient une certaine modernité et seraient une réponse à une meilleure optimisation du temps de transport qui pèse sur tout citadin.

Paradoxalement, la grève des transports que connaît l’Île de France en cet hiver 2019/2020, en mettant en évidence l’importance de répondre à la demande des déplacements domicile/travail, a révélé que la marche à pied est bien un mode de transport, de surcroît, jamais défaillant, fiable, sans contrainte. Elle peut être aussi performante pour peu que la cité soit restée à distance humaine, avec un urbanisme et une gestion de la voirie urbaine d’accessibilité piétonne. La grève a redonné à certains l’envie de marcher pour se rendre au travail ou tout simplement emmener ses enfants l’école en délaissant la voiture.

C’est la preuve que la marche à pied est et restera notre premier et notre dernier maillon de tous nos déplacements, quel que soit notre âge, car elle est au cœur des mobilités. Elle relie les autres mobilités, elle facilite l’intermodalité, elle permet une qualité urbaine en structurant les villes. Elle est en réalité plus qu’une mobilité.

On ne peut donc que regretter que la LOM, bien que contenant quelques éléments décrits plus hauts et obtenus grâce à l’action d’associations d’usagers comme 60 millions de piétons et Rue de l’Avenir, soit aussi timide au regard de la marche à pied et n’ait pas osé en faire une figure moderne de la mobilité.

En cela, cette loi a bien raté le coche de la mobilité piétonne.